Grippe aviaire : un virus (toujours) en embuscade

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Ce titre est repris d’un article publié il y a vingt ans, alors que des signaux s’accumulaient, indiquant un risque imminent d’émergence et d’extension de nouvelles souches de virus grippal (1) constituant une menace pour la santé humaine. Ces souches étaient celles de virus aviaires, n’infectant que des oiseaux et en principe incapables de franchir la « barrière d’espèce » pour infecter d’autres animaux, des mammifères et l’Homme. Le virus H5N1 (dénommé ainsi en raison du type d’hémagglutinine, H, et de neuraminidase, N, qu’il présente à sa surface) a été isolé initialement chez des oiseaux marins en Afrique du Sud. Il a depuis été responsable d’épidémies dans des élevages de volailles, au cours desquelles des personnes vivant au contact des animaux ont été infectées. En 2003, il a commencé à se répandre dans les pays du sud-est asiatique où il a été responsable de la mort de millions de poulets et de canards, tués par la maladie ou abattus par précaution. Mais surtout, on a observé plusieurs dizaines de cas humains, dont, pour la première fois, un cas de contamination de personne à personne. Le tableau était celui d’une infection respiratoire grave, entrainant une mortalité élevée. La possibilité de transmission interhumaine est un évènement redouté, car, si elle peut rester exceptionnelle et limitée à des circonstances particulières, elle peut aussi signifier une adaptation du virus devenu ainsi capable d’infecter efficacement une nouvelle espèce.

Ponctuellement, les virus aviaires H7N9, H5N6 et H7N3 ont également provoqué des infections chez l’Homme à l’occasion d’épidémies touchant des oiseaux d’élevage. La contamination s’est faite au contact des oiseaux malades, elle s’est manifestée par une infection respiratoire ou, dans le cas de H7N3, par une conjonctivite. S’ils sont restés limités, ces épisodes mettent en évidence la diversité des virus auxquels il semble que quelques mutations pourraient permettre de devenir des pathogènes redoutables pour l’espèce humaine, dépourvue d’immunité et peut-être aussi de traitement et de vaccin contre ces nouveaux agents.

Un nouveau virus est venu s’ajouter à la liste avec l’observation qui vient d’être rapportée par une équipe mexicaine (2). C’est celle d’un homme de 59 ans qui s’est présenté aux urgences de l’Institut national des maladies respiratoires Ismael Cosío Villegas (INER) de Mexico pour un tableau infectieux sévère associant douleurs dorsales, diarrhée, nausées, insuffisance respiratoire et troubles neurologiques, alors que des épidémies dues à des virus H5N2 touchaient des élevages de poulets dans plusieurs états du pays. L’état du patient, qui présentait plusieurs graves comorbidités, s’est rapidement dégradé, avec notamment une péritonite bactérienne ; il a conduit au décès en moins de 24 heures. Un prélèvement effectué dans les fosses nasales a permis d’identifier a posteriori, par séquençage de tous les fragments du génome, un virus grippal H5N2 apparenté à plusieurs virus déjà présents au Mexique.

Identifié pour la première fois en 1983 chez des poulets en Pennsylvanie, le virus H5N2 circule au Mexique depuis 1994. Comme pour d’autres virus grippaux, il en existe plusieurs souches, classées faiblement pathogènes (LPAI : low pathogenicity avian influenza) ou hautement pathogènes pour les oiseaux (HPAI : highly pathogenic avian inflenza). Au mois de mars 2024, les deux types de virus étaient responsables d’épidémies dans des élevages de poulet dans les environs de Mexico, où vivait le patient, mais on n’a pas trouvé dans ses antécédents récents de contact avec ces élevages ou de voyage pouvant être à l’origine de sa contamination. Alors que des traces sérologiques d’infection humaine par un virus H5N2 ont été observées au Japon à la fin des années 2000, le cas mexicain se présente comme le premier où le virus est mis en évidence au cours d’une infection respiratoire grave. Les auteurs de l’observation indiquent toutefois que la responsabilité du virus dans le tableau présenté n’a pas été établie, comme ne l’a pas été non plus le niveau de son pouvoir pathogène (LPAI ou HPAI).

Beaucoup de questions restent en suspens concernant la capacité du virus H5N2 à devenir, après d’autres, un danger significatif pour la santé humaine. La question se pose d’ailleurs aussi pour d’autres virus grippaux, trouvés préférentiellement chez les porcs (actualité du 23/08/2024). Ces virus n’ont pas acquis à ce jour la capacité de se transmettre efficacement à l’Homme et d’homme à homme, ce qui ne permet pas le développement d’épidémies. Il suffirait peut-être pour cela de quelques mutations, mais leur probabilité de survenue est inconnue.

Certainement, le pire n’est pas sûr. Ce qui ne fait pas de doute, c’est que les virus, dont ceux de la grippe, vont continuer d’évoluer et de s’adapter, car ils sont extrêmement doués pour cela, profitant de toutes les opportunités pour se multiplier et accroitre leurs populations. La Nature échouera peut-être à produire une nouvelle souche dangereuse pour l’Homme (elle n’est animée d’aucune intention, bonne ou mauvaise, bien que certains aient un temps voulu la présenter, non sans arrières pensées, comme la « mère du bioterrorisme » [3]), et il faut espérer que l’Homme n’y parviendra pas non plus, même involontairement, par la répétition d’expériences de « gain de fonction » qui permettent à quelques chercheurs d’acquérir, sans grande difficulté mais au prix de risques pour tous, la notoriété. 

Références

  1. H. Tolou. Grippe aviaire : un virus en embuscade. Médecine Tropicale, 2005; 65(1):25-6.
  2. J.A. Vazquez-Perez, C. Wong-Arambula et coll. First laboratory-confirmed human case of infection with influenza A(H5N2) virus reported in Mexico.
  3. W.R. Clark. The Ultimate Bioterrorist: Mother Nature! – 2008.