Vaccination contre la covid 19 : il faut anticiper et se préparer
Partout dans le monde, la pandémie de covid 19 se poursuit, quand elle ne se renforce pas comme c'est le cas dans plusieurs pays européens en ce début d'automne. Les mesures très contraignantes destinées à limiter la transmission du virus, qui ont montré leur efficacité lorsqu'elles ont pu être strictement observées, paraissent à présent moins bien acceptées et se heurtent à la nécessité d'un redémarrage des activités. Il a été dit que nous allions devoir apprendre à vivre avec le virus, mais cet apprentissage est à l'évidence difficile. On peut encore penser que le SARS-CoV-2 finira par disparaitre, comme l'a fait le SARS-CoV-1 depuis 2003, ou par perdre suffisamment sa virulence pour ne plus représenter la même menace, mais les espoirs les plus sérieux reposent aujourd'hui sur la recherche et la mise au point de traitements et de vaccins.
Les vaccins sont en principe l'outil de choix pour assurer la protection de larges populations et, dans le cas de la covid 19, pour réduire la circulation du virus et son impact sur la santé et les activités humaines. Nombreux sont déjà les vaccins qui ont changé notre rapport à des maladies pourtant redoutables, comme la poliomyélite, la fièvre jaune, le tétanos ou l'hépatite B. Parvenir au même résultat avec la covid 19 est un défi dans lequel sont engagés aujourd'hui près de 200 projets de par le monde. Selon l'OMS, à la date du 2 octobre 2020, 42 candidats vaccins étaient au stade des essais cliniques, dont 10 parvenus à la phase III de ces essais, la dernière avant commercialisation.
Il y a toutefois de nombreux problèmes à surmonter pour mettre au point un vaccin sûr et efficace, qui pourra être administré au plus grand nombre, et particulièrement aux populations exposées ou fragiles, et assurera si possible une protection durable. Un autre problème susceptible de limiter les bénéfices attendus d'une vaccination, est la défiance, parfois mal éclairée et aux motivations ambiguës, d'une partie de la population vis-à-vis des vaccins.
Ces raisons ont conduit plusieurs groupes d'experts, dès le mois de juillet 2020, alors qu'aucune date de commercialisation de vaccin ne peut encore être avancée, à mener par avance une réflexion sur la stratégie à adopter pour une vaccination efficace de la population française s'intégrant au plus tôt dans la stratégie globale de lutte contre l'épidémie.
Une première réflexion, datée du 9 juillet 2020, émane du CARE (Comité analyse, recherche et expertise, présidé par Françoise Barré-Sinoussi), du Conseil scientifique Covid-19 (présidé par Jean-François Delfraissy) et du Comité vaccin Covid-19 (présidé par Marie-Paule Kieny) (1). L'épidémie semblait alors se ralentir en France, mais des clusters, annonciateurs d'une possible deuxième vague, apparaissaient au Royaume-Uni, en Allemagne, au Portugal et en Espagne. Une des données prises en compte a été la proportion d'individus ayant développé une réponse immunitaire contre le SARS-CoV-2 et potentiellement protégés contre une nouvelle infection, estimée au maximum entre 6 et 15 %, laissant l'essentiel de la population exposée et sans défense. Partant du constat que "une vaccination obligatoire n’est ni souhaitable ni envisageable" et que "une stratégie de vaccination fondée sur des choix purement individuels peut manquer d'efficacité et se révéler injuste socialement", les comités ont structuré leur réflexion autour de la réponse à la question "qui vacciner, pourquoi et comment".
Revue des connaissances sur l'immunité anti-SARS-Cov-2
Les données disponibles sont encore imprécises. Concernant la réponse immunitaire humorale, la plupart des personnes infectées présentent des anticorps de type IgG en moyenne 11 jours après le début des symptômes, et le taux de ces anticorps est corrélé à la sévérité de l'infection. Cependant, parmi les sujets ayant présenté peu ou pas de symptômes, on ignore la proportion de ceux qui ne développent pas d'anticorps, ou alors de façon très transitoire. On manque également de données sur les autres anticorps, tels les IgA, qui interviennent au niveau des muqueuses.
Parmi les anticorps produits chez les personnes infectées, certains sont neutralisants et considérés comme potentiellement protecteurs. Ces anticorps sont dirigés contre la protéine de surface S du virus et pourraient être induits par un vaccin. Le corrélat entre titre neutralisant et niveau de protection reste toutefois à établir. On craint par ailleurs que certains anticorps anti-S, incapables de neutraliser le virus, aient au contraire un effet aggravant de l'infection (facilitation de l'infection par les anticorps ou ADE). La possibilité que certains anticorps développés contre des coronavirus différents (ceux du rhume banal) offrent une certaine protection contre le SARS-CoV-2 est encore débattue.
Une immunité croisée est plus souvent retrouvée au niveau de la réponse immunitaire cellulaire (lymphocytes T helper ou Th et cytotoxiques) : 40 à 60 % des personnes qui n'ont apparemment pas été infectées par le SARS-CoV-2 ont une réponse cellulaire contre ce virus. Son importance en termes de protection n'est pas encore déterminée. La réponse cellulaire se développe avec une composante Th1, protectrice, et une composante Th2, qui joue parfois un rôle aggravant et ne doit donc pas être sollicitée par un vaccin.
Quel que soit le type de réponse immunitaire, sa durée n'est pas connue. On dispose de données concernant le SARS-CoV-1, responsable de la pandémie de 2003, pour lequel la persistance de la réponse T est évaluée à 10 ans et celle de la réponse B inférieure à 6 ans. L'efficacité et la durée de la réponse immunitaire chez les personnes âgées, qui constituent la population la plus exposée aux formes graves de covid 19, sont également peu étudiées.
Les conséquences de cette connaissance encore imparfaite de l'immunité anti-SARS-CoV-2 sont importantes pour la mise au point de vaccins. Des considérations logistiques (capacités de production et de distribution) sont également à prendre en compte.
Pour les auteurs du rapport, l'évaluation des candidats vaccins devra mettre en évidence leur aptitude à induire rapidement une réponse "anticorps neutralisants" (AcN) et Th1, sans activer de réponse Th2, si possible après une seule administration. Les connaissances sur l'immunité des personnes âgées et les phénomènes de facilitation immunitaire devraient être rapidement développées, alors que la nécessité et la possibilité d'administrer une deuxième dose de vaccin, éventuellement avec un vaccin différent, doivent être envisagées et évaluées en amont.
Mise au point de vaccins
Au moment de la rédaction du rapport, 131 candidats vaccins étaient au stade d'évaluation préclinique et 17 étaient parvenus au stade d'essais cliniques chez l'homme. Ils font appel à des stratégies ou "plateformes" différentes, déjà présentées sur le site mesvaccins.net, dont certaines ont déjà été utilisées avec succès pour d'autres maladies. Parmi ces plateformes, l'utilisation d'ARN messager codant l'antigène vaccinant associé à des lipides qui permettent l'incorporation par les cellules (plateforme choisie par Moderna/NIAID et BioNTech/Fosun/Pharma/Pfizer) présente de nombreux avantages mais son application à un vaccin humain est nouvelle : elle semble induire un bon niveau d'immunité, mais la sécurité à court et long terme doit être évaluée.
Indépendamment de la technologie mise en œuvre, deux types de vaccins pourraient trouver leur utilité : des vaccins "stérilisants" permettant une élimination rapide et totale du virus en cas d'infection, et des vaccins simplement "protecteurs", empêchant le développement de la maladie mais pas forcément le portage du virus et sa transmission.
Aucune date de mise sur le marché de vaccin ne peut encore être avancée, mais plusieurs pays européens, dont la France, ont déjà passé des contrats de réservation avec plusieurs fabricants : pour couvrir les besoins de toute la population, les experts ont considéré que nous pourrions ainsi disposer, entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2021, de 2 à 5 vaccins différents. Ils rappellent toutefois qu'il est impératif d'avoir un recul suffisant pour l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité de ces vaccins avant leur utilisation à grande échelle, tout en se déclarant défavorables au recours à des challenges (infection expérimentale de volontaires) pour tester l'efficacité.
Stratégies de vaccination
Dans l'attente de vaccins validés par l'EMA (Agence européenne du médicament), bien que les connaissances sur leurs caractéristiques soient forcément imparfaites, le groupe d'experts a mené une réflexion sur les stratégies qui devront être déployées pour une utilisation optimale. Cette réflexion a porté sur plusieurs points :
- Définition de populations pouvant relever de stratégies et de priorités de vaccination différentes : elle prend en compte le niveau d'exposition (élevé pour les soignants) et de risque (élevé pour les personnes âgées), le caractère stratégique de la fonction exercée (sécurité), la possibilité d'accès aux soins, les conditions de vie (enfermement et promiscuité).
- De nombreux critères, propres aux vaccins (effet stérilisant ou seulement protecteur, quantités disponibles, nombre d'injections à effectuer, délai et durée de l'immunité, efficacité selon l'âge, tolérance) ou à la population à protéger (acceptation, préexistence d'une immunité), doivent être pris en compte pour établir les recommandations s'adressant à chaque population. En raison des inconnues qui persistent sur la durée de la protection acquise après un épisode de covid 19 et en l'absence de données indiquant un risque de la vaccination chez les personnes déjà infectées, le groupe d'experts déconseille la réalisation d'une sérologie avant l'administration du vaccin.
- Les modalités de la vaccination doivent être préparées :
- Elles doivent impliquer tous les acteurs se trouvant au plus près des populations concernées, médecins, infirmiers, pharmaciens exerçant en libéral ou en établissement.
- Les évolutions réglementaires qui s'avèreraient nécessaires, la formation et l'information des professionnels, le choix éventuel de la mise en œuvre d'un carnet de vaccination électronique doivent être envisagés en amont.
- L'attention portée à la vaccination anti-covid 19 devra également s'étendre à la mise à jour des autres vaccinations, qui ont pu être négligées en raison de l'épidémie, particulièrement chez les personnes à risque : une adaptation du niveau de recommandation (conseillé/recommandé) pourrait être nécessaire.
- Les freins économiques et logistiques à l'accès à la vaccination doivent être levés : une prise en charge intégrale pour tous par l'assurance maladie doit être décidée, un schéma vaccinal simplifié et une présentation adéquate du vaccin (monodose versus multidose) doivent être privilégiés.
- L'adhésion de la population est nécessaire et reste à construire. Alors qu'une défiance vis-à-vis des vaccins s'est installée au fil d'épisodes qui ont donné lieu à controverse (campagne pour le vaccin anti-hépatite B en 1994, pour le vaccin antigrippal en 2009), la restauration de la confiance se heurte aux nombreuses inconnues et aux contradictions qui concernent encore la covid 19. La simplification de l'accès au vaccin, une communication transparente et perçue comme objective et une implication des citoyens au travers de "forums" pourraient contribuer à cette restauration.
Les recommandations et conclusion du CARE sont reprises par la Haute Autorité de santé (HAS) dans sa note de cadrage sur la stratégie vaccinale contre la covid 19 publiée le 23 juillet 2020 (2). La HAS répond à la saisine du Directeur général de la santé en date du 13 juillet. Elle précise que les enjeux présentés par la pandémie sont nombreux et originaux par leur complexité : ils sont à la fois industriels, économiques, sociétaux et éthiques, ils concernent la recherche et l'organisation des soins. La cible des recommandations à émettre est à la fois étendue et diversifiée. D'autre part, "les objectifs du programme de vaccination seront à définir compte tenu de la situation épidémiologique à l’arrivée des vaccins en s'appuyant sur la circulation du SARS-CoV-2 en France, l'état des connaissances épidémiologiques de l'infection par le SARS-CoV-2 et de sa transmission, les spécificités de la maladie Covid-19, ainsi que sur les caractéristiques des candidats vaccins développés, en particulier leur capacité soit à protéger contre l'infection soit à diminuer la sévérité de la maladie, leur sécurité et leurs conditions de mise à disposition (calendrier règlementaire et quantités de doses disponibles)".
La HAS précise ensuite sa méthode de travail : 4 axes, investis en parallèle par 4 groupes de travail, sont identifiés :
- Épidémiologie : identification des populations à cibler selon les objectifs de la vaccination au regard de l'évolution de l'épidémie et du calendrier de disponibilité des vaccins.
- Immunologie : identification de critères pertinents d'évaluation de la réponse vaccinale.
- Développement des vaccins : identification des caractéristiques des vaccins intéressants et susceptibles d'être rapidement mis à disposition sur le marché français.
- Mise en place de la campagne de vaccination : identification des modalités possibles de campagne de vaccination. L'attention est portée au niveau de couverture vaccinale à atteindre, à l'acceptabilité et à l'équité de la vaccination ainsi qu'à ses modalités d'accès.
La composition des groupes de travail sera adaptée, avec la sollicitation d'experts, voire celle des parties prenantes, en fonction de l'évolution du contexte ; les recommandations élaborées seront régulièrement actualisées et immédiatement soumises à la Commission technique des vaccinations.
Dans son premier rapport, également daté du 23 juillet (3), la HAS rappelle les objectifs de la vaccination :
- Prévention individuelle consistant à réduire le risque de contracter la maladie et/ou de limiter ses conséquences, en particulier les formes sévères, à l’échelle d'un individu ou d'un groupe d’individus : cela implique de vacciner des groupes de populations spécifiques tels que les personnes vulnérables à risque de formes graves ou l'entourage ;
- Prévention collective pour freiner la transmission du virus au sein de la population et influencer la dynamique de l'épidémie afin de limiter les conséquences d'une circulation soutenue du virus et atteindre une immunité collective soit au niveau national ou territorial, soit au sein de foyers épidémiques localisés ;
- Prévention pour maintenir des besoins vitaux de fonctionnement du pays dans le contexte d'urgence pandémique et pour réduire le risque de contracter la maladie et/ou limiter ses conséquences chez les professionnels à risque de contracter plus fréquemment l'infection et de la transmettre.
Les recommandations émises devront s'adapter aux populations cibles identifiées et à la situation épidémique, selon 4 scénarios envisagés :
- circulation communautaire généralisée ;
- circulation communautaire limitée à des zones ou régions ;
- circulation limitée à des clusters localisés ;
- absence de circulation détectable du virus au moment de l'arrivée des vaccins.
Ces recommandations pourront évoluer pour prendre en compte l'avancée des connaissances et, de façon séquentielle, les caractéristiques des vaccins au fur et à mesure de leur autorisation. Elles concerneront les professionnels de santé appelés à vacciner et les modalités de suivi des personnes vaccinées.
Plusieurs avis émis par des organismes non nationaux ont été pris en considération (ECDC pour l'Europe, ACIP aux USA, JCVI au Royaume-Uni, Conseil supérieur de la santé en Belgique). A ce stade, tous préconisent "de vacciner en priorité les professionnels de santé et les professionnels d'activité essentielle ainsi que les personnes à risque de développer une forme grave de la maladie en raison de leur âge ou de la présence de comorbidités". Ces populations à risque ont été identifiées dans un avis du Haut Conseil de la santé publique daté du 20 avril 2020 (4).
Le 13 octobre 2020, la "Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques" a publié un rapport d'étape (5). L'objectif fixé à cette Mission par le président de la république est de "dresser un diagnostic des forces et faiblesses des dispositifs d'alerte et de gestion de crise sanitaire en France, dans une perspective de comparaison inte rnationale, afin d'en tirer des enseignements et préconisations pour l'avenir". Dans ce document, elle dresse un premier bilan de l'impact de l'épidémie, tant du point de vue sanitaire que social et économique, et des mesures qui ont été prises. Elle pointe du doigt des "défauts manifestes d'anticipation, de préparation et de gestion" qui ont concerné plusieurs domaines. Elle n'a pas manqué de souligner "la difficulté du décideur public à mobiliser l'expertise scientifique en tant qu'outil d'aid e à la décision". Finalement, à ce stade intermédiaire de sa réflexion, la Mission formule plusieurs recommandations, dont celle de "mener une politique volontariste pour accroître la couverture vaccinale contre la grippe saisonnière et préparer la mise en œuvre d'un éventuel vaccin anti-Covid-19".
Alors que plusieurs pays se sont lancés dans la préparation de stratégies de vaccination pour leur usage national, l'OMS a entrepris de proposer une "feuille de route" pour les guider et les aider dans cette démarche. Le travail effectué par le SAGE (Strategic Advisory Group of Experts on immunization, groupe d'experts consultatif stratégique sur les vaccinations) comporte trois étapes.
Les règles générales qui devraient guider les politiques de vaccination) ont été publiées le 14 septembre (6). Elles visent au respect de plusieurs principes fondamentaux : bien-être et respect des individus, égalité dans la considération, équité globale et nationale dans l'accès aux vaccins, réciprocité vis-à-vis de ceux qui prennent des risques pour le bénéfice de tous, légitimité.
Le document publié le 20 octobre correspond à la deuxième étape (7). Il est un guide pratique, à l'usage des pays, qui identifie les stratégies envisageables et les différents groupes cibles de la vaccination en fonction de la disponibilité des vaccins et des données épidémiologiques. Au moment de la rédaction de son rapport (7 octobre 2020), le SAGE considère qu'il n'existe pas assez de données pour formuler des recommandations sur l'utilisation de l'un ou l'autre des vaccins en cours d'élaboration. Celles qui sont présentées à ce stade visent uniquement la préparation des pays pour une utilisation éthique et efficace des vaccins lorsqu'ils deviendront disponibles. Elles concernent les facteurs pouvant servir à établir une hiérarchie entre les 20 groupes de population prioritaires définis lors de la première étape. Outre les caractéristiques propres à chaque groupe cible, la hiérarchisation des priorités devrait tenir compte de la situation de l'épidémie dans la zone concernée, des quantités et date de mise à disposition du vaccin, de ses caractéristiques ainsi que du ratio bénéfice/risque attendu. La faisabilité et l'acceptabilité de la vaccination doivent également être prises en considération.
La troisième étape est annoncée : elle établira les recommandations propres à chaque vaccin, au fur et à mesure que ceux-ci seront mis sur le marché, recommandations qui seront mises à jour autant que nécessaire en fonction des connaissances sur l'efficacité et la sécurité des vaccins et de l'évolution du contexte.
Le soutien numérique de la campagne de vaccination pandémique contre la covid 19
Les recommandations évoquent le carnet de vaccination électronique, qui est un élément de la plate-forme numérique MesVaccins.
Les vaccins contre la covid 19 ne seront utilisés en population qu’après validation par l'agence européenne du médicament d’un dossier solide incluant les résultats d’essais cliniques de phase 3, ceux-ci concernant des dizaines de milliers de volontaires. Pour qu'un vaccin soit autorisé, il faudra montrer que son rapport bénéfice/risque est favorable dans la population éligible.
Pour autant, tout ne sera pas connu et évalué avant le début de la campagne de vaccination. Les données de sécurité et d'efficacité vaccinales produites par les essais cliniques des premiers vaccins ne seront disponibles qu'avec un recul de deux à trois mois suivant la vaccination. L’évaluation devra donc être poursuivie après la mise en place à grande échelle de la vaccination afin de maximiser les bénéfices de la vaccination et de minimiser ses risques. Ainsi, un plan de gestion des risques devra être mis en place pour chaque vaccin dans une démarche proactive, afin de mieux identifier, caractériser, quantifier, prévenir ou minimiser les risques des vaccins autorisés, d’obtenir des informations manquantes lors de leur mise sur le marché et de surveiller leur bon usage dans les conditions réelles d'utilisation.
Les objectifs des essais cliniques peuvent être différents. Il faudrait aussi pouvoir comparer les différents vaccins entre eux, ce qui n’est pas possible actuellement.
L’expérience de la vaccination contre la pandémie grippale de 2009 montre que la complexité des recommandations vaccinales et leur évolution rapide pour s’adapter à la progression des connaissances ou à la mise à disposition progressive des vaccins peuvent entraîner des difficultés d’application. Ainsi, chaque semaine, les autorités sanitaires adressaient aux professionnels de santé des feuilles A3 résumant les recommandations en vigueur. Ces ajustements, nécessaires et témoignant de la réactivité des experts, étaient cependant difficiles à intégrer et à appliquer dans le temps nécessairement limité d’une consultation vaccinale. De manière paradoxale, ils ont généré des incompréhensions, du doute, des messages discordants et des polémiques. L'hésitation vaccinale ainsi suscitée était d'autant plus importante que les professionnels de santé les plus proches des patients, notamment les médecins de famille, n'étaient pas associés à la campagne de vaccination.
Comme lors de la vaccination contre la grippe pandémique en 2009, il faut s’attendre lors de la vaccination pandémique anti-covid 19 à des recommandations vaccinales complexes et évolutives pour définir l'éligibilité à la vaccination dans un contexte de priorisation. Le risque de polémique et de politisation de la campagne de vaccination a été identifié par plusieurs scientifiques (8). France Assos Santé, qui représente les citoyens utilisateurs du système de santé, a souligné récemment le besoin de "plus de transparence pour renforcer la confiance des usagers" dans la vaccination contre la covid 19 (9).
La solution passe aujourd’hui en partie par la mise en place d’un système d’information adapté. Selon le Centre européen de prévention et contrôle des maladies transmissibles (ECDC), les systèmes d'information sur la vaccination sont des “systèmes d'information confidentiels et basés sur la population, qui enregistrent, stockent et donnent accès à des informations individuelles consolidées sur la vaccination. Ils visent à être complets et à s'étendre à l'ensemble de la communauté, en couvrant les individus et les professionnels de santé d'une zone géographique spécifique”(10).
MesVaccins a mis en place un système d’information sur la vaccination et les voyages intégrant un système expert d’aide à la décision vaccinale et un carnet de vaccination électronique (ou numérique) centré sur la personne et partagé avec le ou les professionnels de santé de son choix (11, 12).
Voici comment nous imaginons son utilisation au service de la prochaine campagne de vaccination pandémique contre la covid 19.
Enregistrement des actes vaccinaux
En raison des enjeux de santé publique et de sécurité, il serait aujourd’hui impensable de lancer une campagne de vaccination sans s’assurer que chaque acte vaccinal sera correctement enregistré et que cette information sera accessible au vaccinateur et à la personne vaccinée, aussi bien dans l’intérêt de la personne vaccinée et du vaccinateur que de celui de la collectivité.
Un vaccin vise à induire une immunité spécifique et prolongée contre l’agent infectieux ciblé. L’enregistrement de l’acte vaccinal est donc aussi important que sa réalisation, car sa connaissance à long terme est nécessaire pour savoir si une vaccination de rappel est nécessaire et préciser le moment optimal de son administration. Sa méconnaissance peut aboutir à des sur-vaccinations, à des sous-vaccinations ou à d’autres erreurs d’administration des vaccins.
La lecture automatisée du code DataMatrix permet d’enregistrer l’acte vaccinal simplement et avec un risque d’erreur très faible. Les informations sur le vaccin administré (nom et caractéristiques du vaccin, numéro de lot, date d’expiration) et sur l'acte vaccinal (date, voie et site anatomique d’administration ; lieu de vaccination et identité du vaccinateur) doivent être complétées avec précision et accessibles à la personne vaccinée. MesVaccins enregistre également le numéro de série du vaccin (numéro unique par flacon).
Chaque personne vaccinée peut accéder à son historique vaccinal et imprimer un certificat de vaccination. En cas de voyage à l’étranger, il est possible qu'un certificat de vaccination contre la covid 19 soit exigé à l’avenir par certains pays.
Pharmacovigilance renforcée
Le vaccin est un produit biologiquement actif susceptible d'entraîner des effets indésirables. La plate-forme MesVaccins optimise la détection de risques faibles grâce à un modèle citoyen participatif de renforcement de la pharmacovigilance. Celui-ci consiste à envoyer à chaque personne vaccinée, après un délai post-vaccinal pré-déterminé, un email ou un SMS permettant de collecter l’information sur la survenue ou la non survenue d’un événement indésirable post-vaccinal, attendu ou non. Pour juger de la responsabilité du vaccin dans la survenue d’événements indésirables post-vaccinaux, il est nécessaire d’avoir des informations fiables sur le vaccin administré et ses caractéristiques. Le système en place permet de s'assurer de la correspondance entre ces informations et la description de l'événement indésirable rapporté.
Cette méthode de pharmacovigilance renforcée permet de surveiller en temps réel la survenue d'événements indésirables au-delà de la période de 2-3 mois de suivi lors des essais cliniques. Elle permet également d'automatiser la surveillance de tous les vaccins anti-covid 19 utilisés, permettant de comparer leurs profils de sécurité et de prendre en compte l'administration d'autres vaccins contre d'autres maladies. Des études analytiques sont également possibles, par exemple la comparaison du taux d'incidence de survenue d'un événement indésirable suivant l'administration d'un vaccin contre la covid 19 à celui observé après l'administration d'un vaccin contre une autre maladie (groupe contrôle).
En conclusion, la sollicitation proactive à intervalles définis des personnes vaccinées améliorerait considérablement la performance du plan de gestion des risques.
Evaluation de l’efficacité vaccinale
L’analyse des données collectées permettra également d’évaluer l’efficacité des vaccins administrés. Pour atteindre cet objectif, les données concernant la description des actes vaccinaux réalisés devront être confrontées aux données concernant la survenue des cas de la maladie, ici la covid 19.
La détermination de l'efficacité vaccinale en vie réelle aidera également à définir le délai après lequel une dose de rappel pourrait être recommandée.
Un système expert pour personnaliser l’information sur la vaccination, aider à prendre des décisions et déterminer le statut vaccinal
Disposer d’un vaccin efficace et bien toléré n’est qu’une partie de la solution. Il s’agit aussi de répondre aux enjeux de confiance dans la vaccination des citoyens, professionnels de santé inclus.
MesVaccins a développé un système de règles déterminant les recommandations ou les contre-indications vaccinales. Sa mise à jour par des experts de la vaccination, sans passer par l’équipe informatique, assure une grande réactivité et la prise en compte en moins de 48 heures de tout événement susceptible d’influer sur les recommandations vaccinales, comme une nouvelle recommandation de la HAS, un changement du résumé des caractéristiques du produit, une alerte de sécurité vaccinale, une rupture de stock d’un vaccin ou un événement épidémiologique.
Un premier niveau de règles détermine les recommandations vaccinales (contre quelles maladies une vaccination est recommandée et pourquoi) et un deuxième niveau de règles permet de déterminer le statut vaccinal ("à jour", "à faire", "en retard" et "situation particulière") et de calculer la date de la prochaine dose à administrer, celle-ci étant envoyée à la personne par email. MesVaccins a pour cela développé un "Domain-specific language" ("Immunisation-specific language") permettant de modéliser tout type de schéma vaccinal avec une grande précision (prise en compte des valences vaccinales et du type de vaccin, du nombre de doses, des intervalles entre les doses, de l'âge d'administration à chaque dose et du profil santé).
La complexité de la détermination du statut vaccinal est souvent sous-estimée. Or la prise en compte de cette complexité est nécessaire pour informer correctement la personne vaccinée et le professionnel de santé, ou encore pour produire un certificat de vaccination attestant du niveau attendu de protection de la personne (ou de la collectivité au contact de laquelle elle risque de se trouver) contre la maladie.
En résumé, le système expert MesVaccins :
- personnalise l’information sur la vaccination, celle-ci étant un élément clef de l’adhésion des personnes ;
- constitue un outil d’aide à la décision et de formation pour les professionnels de santé ;
- diminue le risque d'exposition des citoyens à des messages discordants ;
- génère des données structurées utiles à la santé publique dans le respect de la protection des données personnelles : en particulier, la somme des statuts vaccinaux rapportés à la population éligible permet de calculer une couverture vaccinale granulaire selon des critères fiables et reproductibles ;
- offre la possibilité de renforcer la qualité des données d’innocuité et d’efficacité d’un nouveau vaccin, celles-ci étant essentielles à la poursuite de l’évaluation du ratio bénéfice/risque.
Ethique et gouvernance
Les outils d’expertise vaccinale MesVaccins ont été développés de manière indépendante de l’industrie du vaccin. Gratuits pour le grand public, ils sont financés par les abonnements de professionnels de santé et les autorités de santé. Dès sa création en 2009, MesVaccins a renoncé a toute forme d’exploitation commerciale des données ; l’analyse des données anonymisées, qui sont hébergées en France par un hébergeur de données de santé agréé par le ministère de la santé, est réservée aux autorités de santé à des fins de santé publique.
Le carnet de vaccination numérique est actuellement accessible sur le site web MesVaccins.net, exempt de toute publicité, ou de manière intégrée à des systèmes d’information tiers utilisant l’API MesVaccins. A ce jour, une quinzaine d’éditeurs ont intégré cette API dans des applications utilisées dans les cabinets de médecine libérale, les maisons de santé pluridisciplinaires, les pharmacies d’officine, les services de santé au travail ou universitaires, les centres de vaccinations internationales, les services de protection maternelle et infantile, les centres de santé, les centres médicaux des armées, les centres d’examens de santé de l’assurance maladie ou des sites internet tels que Vaccination info service. Ainsi, environ un million de carnets de vaccination numériques ont été créés et près de 20 000 professionnels de santé sont abonnés à MesVaccins.
Références
- Vaccins contre le SARS-CoV-2, 9 juillet 2020, une stratégie de vaccination. CARE - Comité scientifique covid19 - Comité Vaccin covid 19.
- HAS, Stratégie vaccinale contre la Covid-19, Stratégie de déploiement des vaccins disponibles, 23 juillet 2020.
- HAS, Stratégie de vaccination contre la covid 19, Anticipation des scénarios possibles de vaccination et recommandations préliminaires sur les populations cibles.
- Haut conseil de la santé publique. Actualisation du 20 avril 2020 de l’avis relatif aux personnes à risque de forme grave de Covid-19 et aux mesures barrières spécifiques à ces publics. Paris: HCSP; 2020.
- Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques, rapport d'étape du 13 octobre 2020.
- WHO SAGE values framework for the allocation and prioritization of COVID-19 vaccination. Geneva: World Health Organization; 14 September 2020.)
- OMS - SAGE - Feuille de route pour prioriser les utilisations des vaccins contre la covid 19 dans le contexte d'une offre limitée - Une approche pour organiser la planification et les recommandations ultérieures basées sur le contexte épidémiologique et les scénarios d'approvisionnement en vaccins - Version 1.
- COCONEL Group. A future vaccination campaign against COVID-19 at risk of vaccine hesitancy and politicisation. Lancet Infect Dis. 2020 Jul;20(7):769-770. doi: 10.1016/S1473-3099(20)30426-6. Epub 2020 May 20.
- Vaccins contre la covid 19 : plus de transparence pour renforcer la confiance des usagers. Site internet de France Assos Santé: 21/09/2009.
- European Centre for Disease Prevention and Control. Designing and implementing an immunisation information system, A handbook for those involved in the design, implementation or management of immunisation information systems [Internet]. 2018.
- MesVaccins : références. Oct 2020.
- Koeck J-L, Auguste J, Floret D. MesVaccins.net: A global, multi-functional and integrated platform for information and communication on vaccination. Vaccine [Internet]. 2018 Feb 6.