La succession de vaccins anti-flavivirus pourrait-elle augmenter le risque de forme grave lors d’une infection par un autre flavivirus ?

mesvaccins.net

La succession de vaccins anti-flavivirus pourrait-elle augmenter le risque de forme grave lors d’une infection par un autre flavivirus ?

Les flavivirus sont un genre viral qui regroupe plusieurs agents responsables d’infections chez l’Homme, ceux de la fièvre jaune (FJ), de la dengue, de l’encéphalite japonaise, de l’encéphalite à tiques (TBE), ainsi que les virus West Nile, Zika et Usutu. Jusqu’à relativement récemment, on ne disposait que de trois vaccins contre ces agents, ceux de la fièvre jaune et des encéphalites japonaise et à tiques, dont les aires de répartition restaient distinctes.

On voit à présent, avec l’extension de la dengue et de l’encéphalite à tiques et les émergences de West Nile et de Zika, que des aires de répartition ont de plus en plus tendance à se chevaucher. D’autre part, avec la multiplication des voyages et déplacements, de plus en plus de personnes peuvent se trouver exposées simultanément ou successivement à plusieurs virus et envisager de se protéger avec tous les vaccins disponibles. Aux trois déjà cités s’ajoute maintenant celui de la dengue. Il est donc justifié de s’intéresser aux effets possibles d’infections et de vaccinations successives chez un même individu.

Malgré son évident intérêt, le vaccin contre la dengue a été très long à mettre au point car il doit protéger contre les 4 virus responsables de la maladie, sans induire un phénomène de facilitation connu pour aggraver l’infection par l’un des virus lorsqu’elle se produit chez une personne antérieurement infectée par un des trois autres. L’un des mécanismes en jeu dans cette facilitation de l’infection serait la production, lors de la première infection, d’anticorps de spécificité croisée, capables de reconnaitre les antigènes de virus différents, mais ne neutralisant pas le deuxième virus et facilitant alors l’infection des cellules. On a montré que ce mécanisme (ADE en Anglais pour Antibody Dependent Enhancement) intervenait en cas d’infection successive par des virus de la dengue mais aussi après une vaccination si celle-ci ne parvenait pas à protéger simultanément et efficacement contre les 4 virus.

Tous les flavivirus présentant dans leurs protéines de surface des motifs antigéniques partiellement homologues, on a pensé qu’une facilitation pourrait aussi se produire en cas d’infections consécutives par des virus de maladies différentes. Ce phénomène pourrait expliquer que des formes sévères d’une maladie soient surtout observées dans les régions où les personnes sont exposées à plusieurs d’entre elles. On a en effet pu montrer in vitro que les anticorps persistant dans le sérum après une dengue pouvaient faciliter l’infection de cellules en culture par le virus Zika (1).

On peut penser que, comme dans le cas de la dengue, la vaccination contre tout flavivirus pourrait être responsable de la facilitation de l’infection par un autre virus du groupe. Cette possibilité a poussé parfois certains pays situés en zone d’endémie des deux virus à renoncer à la vaccination contre la fièvre jaune par crainte d’aggraver les cas de dengue. Il a été montré depuis que cette crainte était infondée (2). Il en va autrement avec le vaccin contre l’encéphalite japonaise, dont des études ont mis en évidence la responsabilité dans l’apparition de formes graves en cas de primo-infection par un virus de la dengue (3,4).

Des chercheurs allemands et français ont pensé que le phénomène pourrait être observé avec d’autres vaccins, en particulier s’ils sont combinés dans le temps. Ils ont comparé les anticorps dirigés contre le virus de la fièvre jaune chez des personnes vaccinées avec le vaccin 17D, selon qu’elles avaient reçu ou non le vaccin contre l’encéphalite à tiques auparavant (5). Ils ont observé que les anticorps IgG produits chez les personnes non vaccinées contre la TBE sont très spécifiques du virus de la fièvre jaune et capables de le neutraliser (l’empêcher d’infecter des cellules en culture), mais que ceux présents, à des taux très élevés, chez les personnes précédemment vaccinées contre la TBE avaient des spécificités croisées (ils reconnaissaient les deux virus FJ et TBE) et étaient peu neutralisants. L’explication avancée est que la réponse immune se ferait dans ce second cas contre une séquence antigénique commune aux flavivirus, qui se trouverait insuffisamment exposée au système immunitaire en l’absence d’immunité anti-flavivirus préexistante et n’entrainerait pas alors de réponse. L’étude a montré en outre que les anticorps des personnes vaccinées contre TBE facilitent l’infection de cellules en culture par le virus 17D. En agissant de même chez les personnes, ils contribuent peut-être à rendre l’infection et la réponse immune plus intenses lorsque le virus, atténué mais toujours infectieux, est administré pour vaccination (6). Alternativement, on peut penser que cet effet de facilitation pourrait s’avérer délétère chez des personnes au système immunitaire déficient.

L’étude devra être complétée et ses résultats recherchés avec d’autres séquences vaccination-infection. L’orientation, par la succession des vaccins, de la réponse immune vers une séquence antigénique commune à plusieurs virus et la production d’anticorps de spécificité croisée peut se révéler bénéfique ou délétère. Il reste donc à caractériser la traduction clinique éventuelle des observations réalisées, qui ont le mérite d’attirer l’attention sur des interactions parfois très à distance et qu’il n’est pas aisé de connaitre a priori, alors qu’elles vont concerner de nombreuses personnes à l’avenir.

Références

  1. W. Dejnirattisai et coll. Dengue virus sero-cross-reactivity drives antibody-dependent enhancement of infection with zika virus. Nat. Immunol. 17, 1102–1108 (2016).
  2. M. J. Luppe et coll. Yellow fever (YF) vaccination does not increase dengue severity: A retrospective study based on 11,448 dengue notifications in a YF and dengue endemic region. Travel. Med. Infect. Dis. 30, 25–31 (2019).
  3. K. B. Anderson et coll. Preexisting Japanese Encephalitis virus neutralizing antibodies and increased symptomatic dengue illness in a school-based cohort in Thailand. PLoS Negl. Trop. Dis. 5, e1311 (2011).
  4. Y. Saito et coll. Japanese encephalitis vaccine-facilitated dengue virus infection-enhancement antibody in adults.BMC Infect. Dis. 16, 578 (2016).
  5. Santos-Peral, F. Luppa et coll. Prior flavivirus immunity skews the yellow fever vaccine response to cross-reactive antibodies with potential to enhance dengue virus infection - https://doi.org/10.1038/s41467-024-45806-x
  6. Mok, D. Z. L., Chan, K. R. The effects of pre-existing antibodies on live-attenuated viral vaccines. Viruses 12, 520 (2020).

Pages associées